Episode #4: John Avila
↓ Traduction en français ↓ | English transcript
John Avila: Grooves surchargés - De bassiste punk chez Oingo Boingo à professeur de fac
Gabi Chesnet
Bienvenue au Musicians’ Teatime ! Je suis votre hôte, Gabi Chesnet.
Cyd Levine
Et je suis votre co-hôte Cyd Levine. Nous avons aujourd'hui un autre invité fascinant issu de la petite résidence de Gabi à Los Angeles, et une autre co-hôte intrépide : notre bonne amie Tiya est allée sur le terrain avec vous pour prendre le thé avec le sujet du jour, qui est...
Gabi Chesnet
John Avila ! Il s'est lancé très jeune dans la musique et a eu un éventail de collaborateurs qui ne manquera pas de vous surprendre. Nous lui avons rendu visite dans son propre studio, Brando's Paradise, et nous sommes tellement reconnaissants d'avoir eu cette conversation perspicace avec ce musicien, producteur et professeur toujours aussi actif, qui a d'abord été reconnu en tant que bassiste, et qui s'est maintenant diversifié dans bien d'autres domaines.
Cyd Levine
Entre les concerts, les disques, les tournées et l'enseignement, il a vraiment tout fait - et tout ça avec une énergie débordante. Voyons ce que vous avez eu à dire !
Brando’s Paradise - photos argentique par Gabi Chesnet pour AAR
John et Tiyanée
John Avila
C'est l'heure du thé ici à Brando's Paradise, bienvenue chez nous. C'est un plaisir de vous accueillir. Et merci de me recevoir !
Gabi Chesnet
Et merci à vous, John. Tout d'abord, la question que nous posons à tout le monde, et à laquelle il n'est pas toujours facile de répondre, comment vous définiriez-vous ? Qu'est-ce que vous êtes, un musicien ? Un producteur ?
John Avila
Ça dépend de la décennie à laquelle tu me poses cette question. À l'heure actuelle, je suis tout d'abord un musicien, car sans la musique, je ne ferais pas ce que je fais dans toutes ces autres activités. Mais j'aime toujours jouer, et c'est ce que j'ai fait pendant les 20 premières années de ma carrière. Je ne faisais que jouer et faire des tournées. C'est après ça que je me suis lancé dans la production, que j'ai ouvert un studio et que j'ai acquis cet endroit, Brando's Paradise. Je me suis mis à produire des groupes, beaucoup de groupes différents, toutes sortes de choses différentes. Donc après ça, c'était un mélange de tournées, de production et de sessions. Mais au cours des 15 dernières années environ, j'ai également inclus l'enseignement.
Et j'ai commencé à enseigner... Toute cette histoire de prof a commencé par accident. Je suis allé chez Starbucks pour prendre un café avec ma femme et ma fille. Elle avait 16 ans à l'époque. C'est une chanteuse douée, elle a tendance à chanter plutôt du jazz, elle pourrait couvrir n'importe quel style, mais c'est une chanteuse de jazz incroyable. On entre dans le Starbucks, et il y avait un groupe qui jouait. Ils étaient vraiment bons. Primo, les groupes, ça ne joue pas chez Starbucks. À ce jour, je n'ai jamais vu un groupe jouer [à nouveau] chez Starbucks, et je n'en avais jamais vu avant ça. Mais ce jour-là, nous sommes entrés par hasard pour prendre un café, et il y avait un groupe qui jouait. Donc on s'est assis et on les a écoutés, et ils étaient incroyables. Ils ont fait d'incroyables arrangements de chansons de jazz. Et au lieu d'utiliser un saxo ou une trompette, ils utilisaient des hautbois et des clarinettes basses. C'était tellement différent, leurs arrangements étaient exquis. Une des chansons qu'ils ont fait était Pure Imagination, la chanson de Willy Wonka. [vocalise la mélodie]
Alors ma fille me dit, "Papa !”, elle dit, “je fais cette chanson, et ils en font une version incroyable. J'adorerais l'essayer. On pourrait leur demander de venir chez Brando's Paradise et d'enregistrer." Et donc [je dis] "Tu as raison, ce serait génial. Je les appelle." Donc quand ils ont fait une pause, je les ai approchés. J'ai dit - et c'était pas loin d’ici - j'ai dit, "J'ai un studio. Je vais vous enregistrer gratuitement si vous enregistrez juste cette chanson, Pure Imagination, avec ma fille." Et ils ont accepté. Le lendemain ou le surlendemain, le groupe est arrivé. Il y avait probablement huit musiciens, une contrebasse, tous ces différents joueurs de cor, un pianiste et un guitariste. Ils sont venus, je les ai enregistrés, c'était une session de quatre heures. À la fin, ils avaient un petit enregistrement de trois chansons. J'ai enregistré, mixé tout ça, et l'une des chansons était Pure Imagination. J'ai pensé : "Oh, c'est la dernière fois que je les vois, mais j'ai cette super chanson avec ma fille."
Environ une semaine plus tard, je reçois un appel d'un monsieur nommé Bob Slack. C'est le directeur du département de musique au Citrus College, ici à Glendora. Ils ont un incroyable programme de musique là-bas, et un studio à un million de dollars. Ils ont l'enregistrement studio dans leur cursus. Ils enseignent le solfège, mais ils ont aussi un programme exceptionnel de production. Il m'a donc demandé si je pouvais venir les rencontrer. Ils ont été époustouflés par l'enregistrement, et par la voix de ma fille. J'ai fini par aller les rencontrer ; Ils ont fini par faire de moi l'artiste en résidence du Citrus College. Ils m'ont donné un diplôme d'enseignement... Ils m'ont donné un diplôme honorifique pour pouvoir faire ça, parce que c'était une affaire réglo. Et puis, ils m'ont proposé de produire un album de big band avec un orchestre de 30 musiciens. J'ai accepté de le produire et de le faire, mais seulement à la condition que j'écrive la moitié des chansons qui se retrouveraient sur le disque. Et ils ont accepté ! Ma fille a chanté toutes les chansons. Donc à partir de ça... C'était vers 2006, il y a donc environ 15 ans.
J'ai commencé à y aller et à enseigner. Pas beaucoup, c'était un ou deux jours par semaine. Mais j'ai tellement aimé ça. J'ai rencontré des musiciens incroyablement jeunes et doués, dont certains avec lesquels je travaille encore aujourd'hui. À partir de là, j'ai commencé à travailler avec le Grammy Camp et j'ai participé à l'élaboration de leur programme, qui se poursuit encore aujourd'hui. Ensuite, j'ai été invité à enseigner à cette université, Los Angeles College of Music. Elle s'appelait Los Angeles Music Academy à l'époque. J'y enseigne encore aujourd'hui. C'est donc quelque chose que je me suis mis à faire, et tout a commencé par une virée chez Starbucks.
Tiyanée Stevens
Une folle sortie chez Starbucks.
John Avila
Ça a changé ma vie. Et j’ai fait cours aujourd'hui ! Je rencontre ces musiciens incroyables, dont certains avec lesquels je travaille encore, comme je l'ai dit, je produis certains d'entre eux après leur diplôme. La première chanteuse que j'ai produite après son diplôme, Mayu, cette chanteuse de Tokyo, a obtenu un contrat d'enregistrement. Elle a signé chez Sony, et elle est toujours signée chez eux. On enregistre toujours ensemble. J'ai donc développé des relations musicales vraiment merveilleuses avec certains de mes anciens élèves, qui perdurent encore aujourd'hui.
Gabi Chesnet
Super. Vous êtes donc tout ça à la fois : musicien, producteur et enseignant.
John Avila
Oui, éducateur, je dis éducateur. Mais c'est un peu pour rendre ce que j'ai appris, au cours de toutes ces années de pratique. Et je n'enseigne pas seulement la basse, j'enseigne la production, l'écriture de chansons, l'arrangement... S'asseoir dans une pièce avec des étudiants, ce que j'ai fait aujourd'hui, et écrire des chansons ensemble. Enfin, c'est pas cool ça ? Et développer des chansons, apprendre le processus de travail avec d'autres personnes, juste créer ensemble. C'est quelque chose que j'aime faire, et j'aime partager ma façon de le faire. Et puis les étudiants... Certains d'entre eux sont tout simplement incroyablement talentueux. Je suis en admiration devant certains. C'est donc passionnant pour moi de travailler avec.
Gabi Chesnet
Avez-vous l'impression que ça vous a donné une certaine liberté créative ?
John Avila
Oh, absolument. Tout à fait. J'essaie de les laisser faire, mais en même temps, on le fait ensemble. Donc la coopération, c'est spécial de faire ça avec des jeunes. Ils sont ouverts, je suis ouvert, et nous essayons de collaborer et de faire de la musique ensemble. C'est donc une partie de l'enseignement que je dispense. Une partie est consacrée à la performance, à la manière de faire du rock et de se produire sur scène, ce genre de choses.
Gabi Chesnet
Vous êtes assurément le genre de personne qu'un élève devrait consulter, après ce qu’on a vu en concert.
John Avila
Oh, merci !
Gabi Chesnet
On ne vous a vu jouer que deux fois maintenant, mais il y a incontestablement cet élément de mouvement.
Tiyanée Stevens
Vous avez une énergie très contagieuse sur scène. C'est un plaisir de vous regarder jouer.
John Avila
Je vous remercie. Je prends plaisir à jouer. C'est toujours ce que je préfère faire, me produire, et surtout avec des collègues musiciens extraordinaires, lorsque le cadre est bon, que le ton est bon et que tout est cool. J'aimerais que tout le monde puisse ressentir ce sentiment, ce que l'on ressent.
Gabi Chesnet
C'est quelque chose d'unique et d'intense. Parce que ce n'est pas seulement récent, on peut vous voir sur des vidéos, vous jouez depuis les années 80. Même à cette époque, vous aviez toujours cette énergie contagieuse.
John Avila
Merci.
Gabi Chesnet
C'est quoi, la clé ?
John Avila
Il y a beaucoup de choses... Je me sens toujours comme un gamin quand je joue. Je ne me sens pas différent que lorsque j'avais 19 ans. Pas du tout. C'est la même chose. J'ai toujours cet enthousiasme à essayer de rendre une chanson aussi bonne qu'elle peut l'être, à essayer d'avoir la meilleure sonorité possible sur mon instrument, et jouer avec un super batteur. Il y a aussi des aspects, comme faire un concert d'Oingo Boingo, nous faisons encore des concerts de deux heures, ou presque. À l'époque d'Oingo Boingo avec Danny Elfman, lorsque nous étions en tournée, nos concerts duraient souvent trois heures et demie ou quatre heures. Et je parle de punk rock intense à haute énergie, entre autres styles, mais c'était toujours incroyablement intense. Être capable d'assurer avec autant d'énergie pendant aussi longtemps, c'est comme courir un marathon. J'avais l'habitude de courir des marathons, ou de courir 65km par semaine.
Gabi Chesnet
La voilà, la clé !
John Avila
Se mettre en forme ! Et ça inclut le vélo, tu sais, faire ce genre de choses pour être physiquement capable de ne pas mourir sur scène.
Gabi Chesnet
Enfin, Danny avait de l'énergie aussi, il en avait vraiment, mais c'était comme si vous aviez des batteries surchargées.
John Avila
[Rires] Oui, mais j'y travaille, vraiment. Je traite ça comme une chose athlétique, à mon âge. Mais je connais des gars plus âgés que moi qui peuvent faire des choses plus folles encore. Mais pour moi, être capable de monter sur un vélo et de faire 80 km, ou d'escalader une montagne de 1500m, à mon âge, c'est vraiment cool et exaltant. Et dévaler une pente de 1500m, c'est super stimulant. Et ce genre de choses est tout simplement incroyable. Mais j'ai toujours le sentiment que si mon corps me permet encore de le faire, alors je vais continuer à le faire. Donc je n'arrête pas. J'ai l'impression d'être en meilleure forme maintenant, à mon âge, qu'il y a 20 ans.
John et le Turbo Diddley, dont il n’existe qu’un seul modèle
Gabi Chesnet
Plus encore que le mouvement, il y a aussi quelque chose dont on parlait avec Ira la semaine dernière, c'est l'énergie positive sur scène. Le fait de donner l'impression d'avoir beaucoup de complicité avec les autres membres du groupe, de jouer les uns avec les autres. Vous vous regardez et souriez.
Tiyanée Stevens
On peut voir les conversations silencieuses qui se déroulent.
John Avila
Il y a vraiment beaucoup de ça. Je joue avec des gars, surtout dans ce groupe - je pense que la plupart des groupes dans lesquels je joue sont de ce calibre, c'est au-delà même des termes musicaux, ça va en termes psychologiques et émotionnels, et il faut se permettre d'y aller. Tu sais, bien souvent, tu dois apprendre à te laisser aller. Ne pas trop penser. J'ai toujours été quelqu'un qui essaie de ne pas être trop dur avec moi-même si je fais une erreur. Si je tente quelque chose de nouveau et que je me dis "oh, ça marche pas", ça ne marche pas - mais si tu ne te lances pas, tu ne sauras jamais ce qui se serait passé. Une grande partie de ça, ce truc qui se passe sur scène, on se regarde l'un l'autre et c'est comme, "oh la vache, qu'est-ce que tu- Oh, tu fais ça ?! Oh mon Dieu, je vais faire ça ! C'est parti !". Donc il y a beaucoup d'échanges entre nous. Et aussi des musiciens qui savent quand il ne faut pas jouer. C'est aussi très important, quand il faut laisser quelqu'un prendre un rôle - "oh, laisse le guitariste", ou "le batteur fait quelque chose. Laissons-le faire".
Gabi Chesnet
C'est certainement ce qu’on voit, au moins avec JackiO, lorsque vous avez joué un set très long ce soir-là. Pendant toute la durée du concert, c'était comme si tout le monde savait quand jouer, quand ne pas jouer et quand jouer ensemble. Il y avait ce sentiment d'harmonie. En gros, ce qu'Ira a dit la semaine dernière, c'est que vous vous respectez tous beaucoup, mais aussi que vous vous connaissez bien, ce qui vous permet de bien improviser aussi.
John Avila
Oui, on sait tous faire ça. Je viens d'un milieu de jammeurs. Quand j'ai commencé à jouer, j'avais 16 ans. Vous savez comment j'ai commencé à jouer de la basse ? C'est un pur accident. J'avais déjà une voiture. Je conduisais déjà, j'avais mon permis. J'avais déjà une voiture à l'âge de 16 ans, je n'avais jamais joué de la basse auparavant. J'aidais un ami à déménager en appartement. Donc on le déménageait. J'avais une Coccinelle Volkswagen, donc on ne pouvait pas transporter trop de choses, mais on aidait, et quand on est arrivé dans cet appartement, on a regardé en haut et il y avait un grenier. Il y avait une trappe pour accéder au plafond. On a pris une échelle - "Hé, voyons voir ce qu'il y a là-haut". Donc, on est monté sur l'échelle avec une lampe de poche. On regarde là-haut, et quelqu'un avait oublié une basse au grenier. C'était une basse comme celle de Paul McCartney. Elle ressemblait à une basse style violon, une Höfner. Mais c’était plutôt une copie japonaise. Alors on l'a descendue, j'ai ouvert la caisse et j'ai commencé à la manipuler. Et j'étais genre, "Ouah, c'est génial ! J'adore cet instrument !". Et j'ai pensé à Paul McCartney, tu sais, j'étais là, “On dirait exactement la basse de Paul !", et elle était assez facile à jouer, je me souviens qu’elle était fluide. Il se trouvait que j'avais 15 dollars dans mon portefeuille, et mon ami me l'a vendue pour 15 dollars.
Et tout d'un coup, ce soir-là, j'avais une basse. J'ai ramené cette basse chez moi, et c'était le coup de foudre. Je ne la posais jamais. Je dormais littéralement avec. Je m'entraînais 15 heures par jour sans arrêt. Mes parents pensaient que j'étais fou. Ils me disaient "sors de là !”, oh non, je n'avais pas de copine, je n'étais pas intéressé par les filles. Tout ce que je voulais, c'était jouer de ma basse. Et au bout de quelques mois, j'étais dans un groupe qui s'appelait Blowout. On était de San Gabriel, de cette ville. On a commencé à jouer dans des fêtes de lycée. On s'est retrouvés sur des concerts avec un groupe de lycéens appelé Van Halen. On a commencé à jouer à Pasadena et à San Marino, dans des petites fêtes de lycéens. À l'époque, ça devait être en 1973, c'était le début des années 70.
À ce moment-là, ce qui était très populaire chez les ados, c'était les vans, les camionnettes. Mais ils mettaient des jantes chromées dessus et les rendaient plus classes. Et c'était vraiment cool. Il y avait des clubs de vans qui organisaient des fêtes très populaires, des centaines de jeunes venaient. Il y avait un groupe appelé "Van Halen". Et je me disais : "Oh, c'est vraiment pas cool. Tu changes ton nom juste pour pouvoir jouer à ces soirées". C'est ce que je pensais. Je me suis dit : "C'est pas juste ! Ils attirent les jeunes cool juste parce qu'ils s'appellent Van Halen". Mais ensuite j'ai découvert que non, le guitariste et le batteur s'appellent vraiment Van Halen, c'est leur nom. Alors, "ok, c'est une coïncidence, je suppose".
Mais ensuite, quand je les ai vus jouer, c'était à couper le souffle. Ils étaient incroyables. Ils ne faisaient que des reprises à l'époque, ils faisaient peut-être un original par-ci par-là. Et c'était avant qu'ils ne jouent à Hollywood. Mais peu importe, je faisais la première partie de Van Halen. J'étais déjà exposé à cet incroyable talent qui se trouvait dans mon quartier. Eddie Van Halen jouait déjà du tapping et des trucs fous à la guitare qui allaient le rendre célèbre. J'ai été l'une des premières personnes à voir quelqu'un faire du tapping sur une guitare - puisque personne ne l'avait jamais fait auparavant - Eddie, je l'ai vu faire et tout d'un coup, je suis rentré chez moi, et j'ai voulu commencer à le faire sur la basse. Donc le premier bassiste que j'ai vu faire du tapping à la basse, c'était moi. Et non pas que j'étais le meilleur à ça ! Mais c'était la première fois que je voyais quelqu'un essayer de le faire. C'est arrivé tôt, très tôt, j'avais probablement 16 ou 17 ans.
Moins de deux ans après avoir acheté ma première basse, je jouais déjà dans des bars et des boîtes cinq ou six soirs par semaine dans le quartier. J'ai commencé à jouer au Viper Room - à l'époque, ça s'appelait Filthy McNasty's. J'ai fini le lycée et j'ai commencé à aller à l'East Valley College. Je jouais dans un big band, un groupe de jazz là-bas, et j'allais à la fac à plein temps, cinq jours par semaine, mais je jouais cinq soirs par semaine, tous les soirs, dans les boîtes. Et enfin, une nuit, je jouais au Viper Room et ce monsieur, un type plus âgé, m'a approché et m'a dit, "Hé, il y a un groupe qui cherche un bassiste et ils auditionnent. L'audition a lieu demain, tu devrais y aller, je veux te recommander à ce groupe". J'y suis allé le lendemain et j'ai fini par obtenir le job. C'était avec un groupe appelé El Chicano. Ils étaient signés chez MCA Universal Records. Le premier concert était la première partie de Santana devant 40 000 personnes - et c'est la première tournée que j'ai faite.
Tiyanée Stevens
Quel âge aviez-vous à l'époque ?
John Avila
J'avais sûrement 18 ou 19 ans, juste après le lycée. Et c'est là que j'ai commencé à faire des tournées. C'était le premier concert, c'était la première fois que je partais sur la route, de toute ma vie. Je crois que c'était la deuxième fois que je prenais l'avion. J'étais si jeune, vous savez, mais c'était une sacrée expérience de jouer devant 40 000 personnes dans un stade. C'était grisant. J'ai fini par faire une tournée, j'ai fini par aller en Asie du Sud-Est avec ce groupe. Et quand je suis revenu, j'ai fini par obtenir un autre contrat. Je jouais en ville à L.A., j'accompagnais beaucoup de groupes du top 40 dans un club appelé le Red Onion. C'était un circuit à Los Angeles, les 40 meilleurs groupes de Los Angeles. J'ai fait ça pendant environ un an, six soirs par semaine et le soir de mon congé, je jouais dans un club de jazz appelé Josephina's, à Sherman Oaks.
Gabi Chesnet
Vous dormiez parfois ?
John Avila
Non. Non, non, je jouais sept nuits par semaine - en fait, mon record est de 121 nuits consécutives sans nuit de repos. Cinq sets par nuit. Et c'était mon entraînement, c'étaient mes petites ligues.
Tiyanée Stevens
Il n'y a jamais eu de moment dans votre vie où vous n'avez pas fait de musique.
John Avila
Non, je n'ai jamais eu d'autre travail. Quand j'étais au lycée, j'ai fait un peu de bricolage, je peignais des maisons avec mon père. Le lycée m'a trouvé un petit boulot, mais ça faisait partie d'un programme scolaire. Mais quand j'ai eu mon bac, non. En fait, j'ai travaillé pendant un mois, car ma voiture était en panne et je devais réparer la transmission de ma Volkswagen, alors j'ai trouvé un job pendant un mois. Dès que j'ai réparé ma voiture, c'était fini. Je n'ai jamais eu d'autre travail.
Gabi Chesnet
Et c'était dans les années 70 ?
John Avila
C'était dans les années 70, oui. Donc ma carrière, ma carrière de tournée a couvert la moitié des années 70, toutes les années 80, les années 90... Et puis ma carrière de producteur a commencé au milieu des années 90, quand Oingo Boingo s’est séparé. J'ai traversé les années 2000 et 2010, et maintenant nous sommes dans les années 20. Donc beaucoup de décennies !
Gabi Chesnet
Je pense que beaucoup de gens vous connaissent grâce à Oingo Boingo. [JA: Absolument.] Diriez-vous que c'est l'une des plus grandes choses de votre carrière ?
John Avila
Oh, complètement. J'ai tellement appris en étant dans ce groupe et en travaillant avec Danny Elfman, et tout le groupe - en particulier Steve Bartek, avec lequel je joue maintenant. Quand j'ai rejoint le groupe, ils étaient très ouverts à ce que je sois moi-même, ils ne m'ont jamais dit comment m'habiller - ils m'ont juste laissé être moi-même sur scène. De même, une fois que nous sommes entrés en studio, ils étaient très ouverts à mes idées. C'est ainsi qu'a débuté ma carrière de producteur, car dès que j'ai commencé à faire mes suggestions en studio, ils ont fini par faire de moi l'un des producteurs.
Gabi Chesnet
Donc vous étiez autorisé à avoir ne serait-ce qu'un peu de créativité dans ce groupe. [JA: Oui.] Parce que nous avons reçu Richard Gibbs sur ce podcast il y a quelques mois. C'était quelques années avant que vous ne rejoigniez le groupe, et il a dit qu'en fait...
Tiyanée Stevens
...[Il n’y avait] peu ou pas de liberté créative, d'après ses souvenirs.
Gabi Chesnet
Oui. Et peut-être que ça avait changé au moment où vous les avez rejoints ?
John Avila
Oui. Pour moi, c'était une expérience créative incroyable. Danny était l'auteur-compositeur. Mais il était toujours ouvert à la participation - vous savez, aux parties de basse et voix. Donc si on avait quelque chose à ajouter pour améliorer la chanson, ils étaient vraiment ouverts à l'idée d'essayer des choses. Ça m'a conduit à ma carrière de producteur. Sur le deuxième album, j'ai eu mon premier crédit de production, ils m'ont nommé producteur adjoint des chants. Puis à partir de Boingo Alive, ils ont fait de moi l'un des trois producteurs, avec Danny et Steve. J'étais dans le studio avec eux tous les jours - s'il y avait une session Boingo, j'étais là. Travailler avec ces gars-là, c'était une sacrée expérience d'apprentissage.
De plus, en travaillant avec des ingénieurs du son exceptionnels, j'essayais toujours de poser des questions - je posais sans cesse des questions. "Comment fait-on sonner la grosse caisse comme ça ?" "Quel micro vous utilisez ?" "Pourquoi ça sonne comme ça ?" "Quel compresseur vous utilisez ?" J'étais constamment en train d'absorber tout ça. Quand le moment est venu pour moi de construire mon studio, j'avais beaucoup d'indications sur ce qu'il fallait faire et sur le matériel à utiliser. Ça m'a vraiment aidé quand j'ai commencé Brando's Paradise.
Gabi Chesnet
Donc vous avez appris au fur et à mesure, pas vraiment à l'école ?
John Avila
Oui, oui. C'était comme aller à l'école. Souvent, surtout pour les jeunes musiciens - et je le dis aux élèves - quand tu es dans un groupe, et qu'ils font un album, viens aux sessions ! Par exemple, ils disent, "oh, ils ont fini avec la basse et la batterie donc je n'ai pas besoin d'être là". Tu dois être là parce que tu as besoin de voir le processus, et tu dois en faire partie. On peut être laissé pour compte si on n'est pas là à apprendre et à faire partie de la production, ou de l'élément créatif de la réalisation d'un disque. Donc tu dois te présenter. Et bien souvent, ça veut dire ne pas se montrer et ne pas être payé, mais venir juste pour apprendre.
C'est le genre de choses que je dis à beaucoup de jeunes musiciens. Et il ne s'agit même pas de se présenter aux sessions, mais aux jam-sessions, ou simplement de sortir, de fréquenter des gens et se faire entendre, peut-être de participer à une jam-session. On ne sait jamais qui va se trouver dans le public. Et chaque contrat que j'ai obtenu, pour moi, venait d'un petit concert tout bête où typiquement, on ne sait pas qui est dans le public, il y a peut-être trois personnes, mais l'une d'entre elles peut être quelqu'un qui peut finir par aider ta carrière ou te faire apparaître sur un disque. Je pourrais continuer encore et encore avec ce genre d'histoires.
Gabi Chesnet
Je pense que vous avez tout à fait raison. Parce qu'en tant que musicienne, même en duo, bien que je savais que mon partenaire créatif était occupé à produire, mixer et faire des choses, et qu'il préférait peut-être être seul, j'insistais en disant : “Je peux venir au studio, je peux voir comment tu travailles ?". Et c'est comme ça qu'on apprend, bien plus qu'en lisant des tutoriels, j'ai l'impression.
John Avila
Oh, oui. C'est en grande partie, surtout quand on est dans l'enregistrement et la production, tous les grands disques, ou quand on entend des disques qui ont marqué les esprits, c'est quelqu'un qui fait quelque chose de nouveau, ou quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant. J'ai abordé ce sujet avec un élève aujourd'hui, il parlait des Beatles. Il me demandait "pourquoi les Beatles, qu'est-ce qu'ils ont de particulier ?", et je lui ai répondu "c'est parce qu'ils ont fait des choses, beaucoup de choses avant tout le monde". Et je peux continuer avec ça ; ils ont été le premier groupe à avoir un retour sur un disque. Ils ont été le premier groupe à mettre leurs paroles sur une pochette d'album. Ils ont été les premiers à utiliser le flanging, le chorus et le flanging, ce qui est très courant aujourd'hui. Mais ils ont été l'un des premiers groupes à le faire. Et ainsi de suite, et on voit la progression qu'ils ont faite depuis le jour où ils ont commencé, ou depuis leurs débuts en studio, jusqu'au jour où ils ont fini. C'est hallucinant qu'ils aient fait ça en sept ans. C'est incroyable.
Gabi Chesnet
J'oublie toujours que ça n'a duré que sept ans.
John Avila
Sept ans ! C'est incroyable. Et je crois que George Harrison avait quoi, 27 ans quand ça s'est terminé.
Gabi Chesnet
Donc c'est clairement sur votre liste des influences.
John Avila
Absolument. Enfin, pour les groupes inspirants, bien sûr, les Beatles. J'ai la chance d'avoir pu assister à leurs débuts américains sur le Ed Sullivan Show. Je l'ai regardé en direct avec ma famille, et c'était comme une soirée de Super Bowl. Toute ma famille a fait une fête pour regarder ça. C'était comme regarder le Super Bowl. On attendait, on attendait, et puis le Ed Sullivan Show a commencé, et on était tous devant la télé en noir et blanc. J'avais sûrement 6 ou 7 ans. Je me souviens que les filles, mes cousines criaient ! Et je trouvais que c'était le truc le plus cool, ils avaient l'air vraiment cool, et leurs cheveux étaient différents - personne ne ressemblait à ça. Leurs cheveux, la tignasse, personne ne ressemblait à ça. Je trouvais qu'ils étaient les meilleurs. C'était historique, et j'ai pu en être témoin.
Gabi Chesnet
Y a-t-il quelqu'un d'autre que les Beatles ? En tant qu'inspiration en général, comme bassiste.
John Avila
Oh, comme bassiste ? Eh bien, Paul McCartney en est certainement une. Si vous écoutez, je n'avais jamais joué la chanson "Something". J'ai dû l'apprendre. J'ai joué la chanson "Something" et pendant que j'apprenais la partie de basse, c'est la plus belle ligne de basse mélodique que quelqu'un puisse écrire; et ces parties sont là qui, si elles n'étaient pas là, ça ne serait pas la même chanson. La chanson serait complètement différente si cette partie n'était pas là. Donc des gens comme ça, comme Paul McCartney - mais quand j'étais à la fac, à jouer dans des big bands, j'ai commencé à être exposé au jazz. Mon premier album de jazz était Chick Corea, Light as a Feather. Et puis j'ai découvert Stanley Clarke, qui m'a énormément inspiré, et bien sûr Weather Report avec Jaco Pastorius. J'étais ado quand j'ai découvert ces gars-là et j'ai pu les voir en concert. J'ai vu Weather Report en concert plusieurs fois, j'ai vu Return to Forever, à l'époque, dans les années 70. J'ai vu John McLaughlin avec Mahavishnu Orchestra. J'ai vu la tournée Birds of Fire. Donc grâce à mon âge, j'ai pu voir des trucs vraiment cool. Je n'étais qu'un môme, mais j'y ai été exposé.
C'est aussi parce que j'avais un grand frère musicien, mon frère Sammy Avila, qui avait cinq ans de plus que moi. Parce qu'il était entouré de groupes, qu'il répétait ses morceaux, j'ai découvert Hendrix, Cream, les Rolling Stones, et il avait ces albums qui traînaient - des trucs que je ne serais jamais allé acheter, mais parce que j'avais un grand frère, j'avais ces albums qui traînaient. Et JackiO reprend toujours une chanson intitulée Lady Jane, que j'ai chantée samedi soir, et Lady Jane est une chanson sur laquelle Steve a joué du sitar. Et on fait cette chanson grâce à l'un des albums de mon enfance, Aftermath, sur lequel figure la chanson Lady Jane. Donc on la joue, parce que je l'adore.
Gabi Chesnet
Et vous faites cette chanson, mais elle se transforme en beaucoup d'improvisation, et vous en faites vraiment votre propre chanson quand vous faites des reprises.
John Avila
J'essaie, j'essaie vraiment. Je pense à quelqu'un qui m'inspire, c’est quoi son nom ? Comment il s'appelle, (chantant) "came into the bathroom window". C'est qui ce type ? L'anglais, Mad Dogs and Englishmen... Bref, j'ai un trou de mémoire. Mais c'est une influence: quelqu'un qui peut prendre une chanson et en faire la sienne.
Tiyanée Stevens
Vous avez parlé de votre grand frère. Vous diriez que votre grand frère était en quelque sorte un mentor personnel sur le plan musical ?
John Avila
Oh, absolument. Encore aujourd'hui, et je crois honnêtement que le fait d'avoir été exposé à lui très, très tôt, même avant de jouer - j'ai été exposé plus tôt et j'avais des musiciens plus âgés autour de moi. En fait, son groupe m'a fait jouer avec eux quand j'étais très jeune, ils avaient un groupe appelé Moonshine. J'ai fini par être le bassiste de ce groupe pendant un moment. J'ai donc pu jouer avec des gars qui avaient cinq ans de plus que moi, et c'était incroyable. Il était dans un groupe appelé The Crescendos, ils étaient au lycée. C'était quand il était en terminale, c'était un groupe de cuivres à neuf musiciens, et c'étaient tous des lycéens de la même école. Il a eu son bac en 1969. 1969, c'était en plein milieu de la guerre du Vietnam. Sur les neuf gars de ce groupe, sept ont été envoyés à l'armée ou sont partis au Vietnam, dont mon frère. Il a été appelé, il n'a pas eu à aller au Vietnam, il était au pays. Mais sur ces sept, sur les neuf membres d'un groupe, deux ont été blessés par balle au Vietnam, mais ont survécu.
Je vous raconte juste à quel point c'était fou d'être à cette époque. Être un jeune homme voulait souvent dire que tu n'allais pas t'en sortir, ou que tu allais être jeté en pâture. Mais vous savez, des choses comme ça, je pense à la chance que cette guerre se soit terminée quelques années avant qu'ils ne me prennent, et que je puisse être envoyé à la guerre. Je suis reconnaissant pour tous les militaires qui partent et font ça, bien sûr, mais bon sang - être mis en danger comme ça, beaucoup de fois à l'époque de mon père qui était adolescent pendant la Deuxième Guerre mondiale, et de tous mes oncles. C'est une toute autre époque où tout le monde devait partir à la guerre. Mais quand on regarde cette époque, celle de la guerre du Vietnam, les années 60, Hendrix et toutes les choses qui ont été écrites et chantées, c'était une période incroyable de changements. Il y avait beaucoup de justice sociale et de choses dont on parlait. Et ça s'est reproduit maintenant, vous le savez, ça s'est produit tout récemment avec toutes les choses que nous savons qui viennent de se produire. Donc c'est une période que nous traversons à nouveau.
Tiyanée Stevens
La musique est très réparatrice. C'est très important dans ces moments-là.
John Avila
Oui, la musique a fait partie du processus de guérison. Surtout des gens comme Bob Dylan, "Blowing in the Wind", des chansons comme ça sont sorties, et ça a touché tout le monde. C'est incroyable comme la musique peut être un élément de guérison. Une autre chose à propos de la musique qui était essentielle pour moi, c'est que ma mère et mon père sont tous deux musiciens. Ma mère avait une très belle voix. Je me souviens que lorsque j'étais petit, mon père et ma mère pouvaient jouer pendant quatre heures sans répéter une seule chanson. Ils pouvaient juste chanter chanson après chanson après chanson, pendant des heures et des heures. Je me souviens avoir regardé ma mère chanter, et je me souviens avoir vu des hommes adultes pleurer en l'écoutant, juste de grands gaillards avec des larmes dans les yeux. Et je me disais, c'est puissant qu'ils pleurent pour ça ! Parce qu'il peut y avoir quelque chose dans une chanson. Et je suis toujours touché comme ça par des chansons, vous voyez ? Je suis sûr que ça arrive à tout le monde, mais j'ai vu le pouvoir de la musique depuis tout petit. Alors ma mère... J'étais très impatient d'apprendre à jouer de la guitare, parce que je voyais l'attention qu'ils recevaient quand ils chantaient et jouaient, et je trouvais ça tellement cool. Tout le monde les regardait. Donc ma mère m'a appris mes premiers accords de guitare quand j'avais 5 ou 6 ans. C'estquelque chose qui s'est produit très tôt pour moi.
Gabi Chesnet
Vous avez eu de grandes inspirations, mais maintenant que vous êtes devenu l'inspiration de beaucoup de gens, comment vous sentez-vous une fois les rôles inversés ?
John Avila
Merci pour ça, on me le dit souvent. C'est peut-être pour ça que j'ai envie d'enseigner et de transmettre en retour. C'est une autre chose que j'enseigne à mes élèves et aux jeunes qui veulent m'en parler - qu'il faut être gentil avec les gens, parce qu'on ne sait jamais. Pas qu'il faille être un connard avec quelqu'un ou être un pauvre type. Je ne veux même pas de ça. Le seul type de personnes contre lequel j'ai des préjugés, ce sont les cons, ou les salauds, parce que je joue depuis presque 50 ans maintenant. Vous pouvez donc imaginer que quelqu'un que j'ai rencontré jeune, en pleine ascension et jouant peut-être ses premiers concerts, finisse par devenir une superstar. Et j'en connais quelques-uns. Les gens venaient me parler après un concert et je leur donnais de mon temps, vous savez, "Ouais, merci ! Content que tu... Oh, quoi, t’es musicien ? Cool, qu'est-ce que tu fais ?". J'ai entendu ça maintes et maintes fois, année après année, dans différentes villes du monde entier.
J'aime rencontrer les gens, je crois que j'aime juste faire des rencontres et j'aime entendre leurs histoires. Et certaines de ces personnes sont devenues célèbres. Tu pourrais être un con avec quelqu'un qui pourrait finir par aider ta carrière plus tard. J'ai brûlé des ponts à cause de ça. Et ça vaut aussi quand tu travailles avec d'autres musiciens, quand tu travailles en studio, tu dois apprendre à collaborer et à être efficace avec les autres. Sois pas lourd, tu vois ? Et ça inclut même la douche avant la session ! Tu ne t’es pas douché depuis trois jours et tu sens mauvais ? Arrête, mec ! Surtout en studio, quand tu es entouré de gens tout près, tu sais, c'est le genre de choses auxquelles on doit penser. Mais c’est des choses comme ça, où les gens ont envie de te côtoyer, tu sais. C'est le genre de choses pour lesquelles il faut apprendre à être correct avec les gens quand on fait de la musique.
Gabi Chesnet
Quand on est une influence - avez-vous personnellement entendu, par exemple, Boingo influencer des groupes par votre façon de jouer ?
John Avila
Juste par expérience, les groupes que j'ai rencontrés lorsqu'ils étaient tout frais - je me souviens d'un soir où je suis allé voir Trent Reznor jouer avec son groupe, Nine Inch Nails. Ils faisaient la première partie de Jane's Addiction et j'ai été époustouflé par Nine Inch Nails. Je n'avais jamais entendu parler d'eux, et j'ai trouvé qu'ils donnaient un spectacle incroyable. Je suis allé en backstage et je traînais un peu. Je ne connaissais pas Trent Reznor, mais il m'a dit : "Oh mon Dieu, John Avila ! Oh, j'adore Oingo Boingo". Et c'est quelqu'un qui, très tôt, a fini par devenir... Ce n'est qu'une personne, je pourrais continuer encore et encore. Mais c'est un exemple de quelqu'un qui, je le sais, a été influencé par Oingo Boingo. Et j'en ai lu d'autres, bien sûr.
Gabi Chesnet
Quelques questions à propos de Boingo encore une fois - les “outtakes". Il y a beaucoup de chansons qui n’ont pas fini sur les disques.
John Avila
Un de mes élèves bassistes m'a dit qu'il y a des outtakes qui ont été masterisés et qui ont un son incroyable. Je me suis demandé comment ils ont pu se retrouver là-dehors.
Gabi Chesnet
Il y a des collectionneurs. On en connaît quelques-uns qui ont des archives énormes de trucs inédits. Ils veulent toujours savoir des choses, comme dans la chanson "Remember my Name", il y avait des versions antérieures avec un solo de basse.
John Avila
Il y a un solo de basse. Il n'est pas parvenu à finir sur le disque. Sur chaque album que nous avons fait, il y avait toujours des chansons supplémentaires, et pour une raison ou une autre, elles ne figuraient pas dessus. Je me souviens que parfois, je me disais : "Oh, non, quoi ? Non !", mais je suis juste le bassiste du groupe. Parfois, c'était la maison de disques qui ne voulait pas de cette chanson, ou elle ne collait pas à l'ambiance... Je ne me souviens même pas pourquoi elles n'ont pas été retenues, mais je me rappelle juste qu'on enregistrait toujours des chansons en rab. Et je fais ça avec beaucoup de groupes. On enregistre toujours des chansons et il y en a peut-être quelques-unes qui ne seront pas retenues, et ça fait partie du processus. Mais d'une manière ou d'une autre, quelqu'un a réussi à mettre la main dessus. (Rires)
Gabi Chesnet
Vous n'étiez pas dans le studio pour So-Lo, non ? [JA : Je n'étais pas quoi ?]
Tiyanée Stevens
Étiez-vous en studio pour l'album So-Lo de Danny Elfman ?
John Avila
Non, je suis arrivé juste après la sortie de ce disque.
Gabi Chesnet
Oui, mais pourquoi êtes-vous dans le clip de Gratitude alors ?
John Avila
Je ne sais pas. Je suis dans ce clip ?
Gabi Chesnet
Bien sûr ! Vous ne vous en rappelez pas ?
Tiyanée Stevens
Il me semble que dans celle-là, vous électrocutez Danny. [JA : Oh ! (Rires)] Vous vous souvenez comment vous avez réussi à figurer dans le clip ?
John Avila
Sans doute parce que le groupe venait de changer de membres à ce moment-là, et j'ai enregistré cette chanson, “Gratitude" - je suis sur trois versions différentes. Mais pas sur la version de So-Lo.
Il s'est passé un truc marrant dans cette histoire. Quand on a fait ce clip, il y avait un gars qui s'appelait Graham... J'ai oublié - c'est lui qui l'a réalisé. Je me souviens qu'ils avaient tout un décor. John [Hernandez] et moi, on était maquillés et on nous mettait des trucs sur les dents pour qu'on ait l'air vraiment, (grognements), tu vois ? Je me souviens avoir traîné Danny jusqu'à la chaise électrique, et Danny essayait vraiment de ne pas y aller, et je me souviens qu’on l'avait mis au sol et qu'on lui donnait des coups de pied ! On rentrait vraiment dans le personnage, et Danny nous fait : "Hé, les mecs !", "Oh, désolé Danny, je rentre juste dans le personnage là." "Ouais, bon, vas-y doucement avec les coups de pied." "Oh, ok, désolé”.
Environ une semaine après avoir tourné la vidéo, le réalisateur m'appelle. "Hé, John, écoute, je réalise ce truc qui va passer à la télé, et j'aimerais que tu passes me voir. Los Lobos seront là, et John Doe de X, et Peter Case." Il mentionnait tous ces gens super cool qui allaient être là- "Ouais, mec, j'adorerais passer.” "On va faire une répétition. " Et je me suis dit, peut-être que je vais être un musicien en fond ou quoi dans le film. J'ai dit : "Je ne peux pas venir à la répétition, Boingo est en studio ce soir-là. Mais le lendemain, quand vous ferez le truc, je pourrai venir." "D'accord, viens juste pour ça." Je n'ai pas pu aller à la répétition, donc je ne savais pas ce qui allait se passer.
Alors je me suis rendu au tournage le lendemain. "Oh, super ! Hé, John, merci d'être venu. Voici ton script." "Mon script ? Qu'est-ce que tu... Un script pour quoi ?" Il a dit : "Oh, tu vas être l'un des personnages principaux de ce truc, tu vas jouer !" "Quoi ?!" J'ai dit, "Je suis pas acteur ! Je suis bassiste et chanteur, mais pas acteur. Je n'ai jamais joué de toute ma vie. Chaque fois qu'il y avait une pièce à l'école, j'étais toujours l'arbre." Ils me donnaient le rôle de l'arbre. Et je restais planté là, comme ça. Mais je n'ai jamais fait de comédie. Il a dit : "John, tu es chanteur. C'est comme chanter, sauf que tu parles. Voilà le script, va apprendre tes répliques." Puis il s'avère que je joue mon rôle avec des acteurs célèbres. L'un d'eux était Lorne Greene, un acteur canadien. Lorne Greene jouait le père dans Bonanza - c'est un acteur légendaire, emblématique d'il y a longtemps. Ensuite, c'était avec la dame qui a joué la mère de Ritchie Valens dans son biopic. Quoi qu'il en soit, j'ai fait mon seul contrat où j'ai vraiment joué - j’étais comédien pour un soir. Mais tout ça est arrivé à partir de ce clip, et ce film est sorti. Ça s'appelait Legends of the Spanish Kitchen.
Gabi Chesnet
C'est une belle chute. Vous disiez que vous avez une tonne d'histoires du temps de Boingo, avez-vous des anecdotes sur le caractère des gens avec qui vous travailliez ou que sais-je ?
John Avila
Oh, ça alors... En tout cas, le groupe était très soudé. Donc quand quelque chose se détraquait, ça pouvait causer... Avoir autant de personnes qui font la même chose en même temps, comme se présenter à l'aéroport, ou se présenter à l'appel alors qu'on partait de l'hôtel le lendemain. Ce genre de choses peut être vraiment dingue. Je me souviens d'une chose - et nous en parlons dans [le DVD Farewell] - c'est que quand nous sommes allés au Mexique, et que nous avons joué à l'hippodrome d'Agua Caliente, on était en tête d'affiche. C'était un grand événement avec plusieurs groupes. Je ne me souviens pas de tous les groupes. Mais le lendemain matin, quand on est rentrés, on a laissé un des membres du groupe à une station-service de Tijuana.
Gabi Chesnet
Vous l'avez juste oublié ?! Vous vous souvenez de qui c'était ?
John Avila
C'était Carl [Graves]. Et Carl a été abandonné - Carl joue toujours avec nous et nous en rions. Mais Carl a été abandonné au bord d’une autoroute. On a passé la frontière avant de réaliser, "où est Carl ? Oh mon dieu, on a oublié Carl !" Carl a fini par s'en sortir. Mais c'est une histoire, et on en parle dans le DVD Farewell. C'est une sacrée anecdote. Aller au Brésil, c'était aussi extraordinaire. [GC: Les gens voulaient vraiment vous voir là-bas.] 60, 50 000 personnes sont venues nous voir à Rio de Janeiro - et on était le seul groupe, il n'y avait même pas de première partie. On a été numéro 1 des ventes là-bas pendant 9 semaines d'affilée. C'était incroyable d'être au Brésil. C'était en 93. Je me souviens être sorti de scène - la chanson "Stay" était la plus connue là-bas. On est sortis de scène et les gens n'arrêtaient pas de la chanter, sans s'arrêter. C'était émouvant.
Gabi Chesnet
C'est la chanson qui m'a entraînée dans tout ça. C'était très fortuit, parce qu'elle était juste sur une des radios que les plateformes de streaming vous proposent, ces playlists. Je me douchais un jour et je me suis dit : "Mince, c'est une dinguerie en fait", et j'ai continué à l'écouter.
John Avila
Ouais. Ça a toujours été l'une de nos chansons les plus populaires. Les gens l'adorent.
Gabi Chesnet
Personne, peut-être une seule personne, lorsque j'ai mentionné le groupe en France, ne connaissait. Pas étonnant donc que je ne pense pas que vous soyez déjà venus en France avec eux. [JA : Non, nous ne sommes jamais allés en Europe.] Vous êtes venu personnellement en Europe, parce que j'ai mentionné ma ville natale de Cherbourg, vous avez dit que vous y avez joué. Est-ce que c'est vrai ?
John Avila
Non, pas avec moi. Danny Elfman y a peut-être joué. [GC : C'est une toute petite ville, vraiment.] Oui. Mais Danny a pu le faire - j'ai joué dans toute l'Europe avec différents groupes, donc ça aurait pu être à ce moment-là ? Avec Walter Trout - j'ai fait une tournée avec les Imperial Crowns. J'ai fait des tournées en Europe ; ma première tournée était dans les années 70 avec Triumverat, un groupe de rock progressif allemand. Je suis allé en Europe un bon nombre de fois au fil des ans.
Gabi Chesnet
Vous avez dû aller en Normandie alors.
John Avila
Je suis venu en Normandie, oui. [GC : C'est là d'où je viens - où je vis.] Oui, j'ai joué en Normandie. Magnifique.
Gabi Chesnet
Ici, c'est sympa aussi. Mais aller en Europe en tant que musicien, c'est une toute autre chose.
John Avila
C'est vrai. Comme je l'ai dit, une chose à propos des publics européens, c’est à quel point ils apprécient... Enfin, ils aiment la musique en général, mais il y a quelque chose dans la musique traditionnelle américaine comme le jazz et le blues, quand elle est interprétée par les types qui l'ont créée, ils l'apprécient vraiment.
Gabi Chesnet
Je ressens une certaine intensité. Quand je vais à des concerts chez moi en Europe, que ce soit en France, en Allemagne, en Belgique ou - j'aime suivre les tournées - aux Pays-Bas ou même au Royaume-Uni, les foules sont très intenses. Et ici aux Etats-Unis, ils ont tendance à être peut-être un peu plus calmes, peut-être un peu désintéressés. [JA: Je trouve.] Je ne sais pas, est-ce que vous pensez que ça a changé ?
John Avila
Ils n'étaient jamais tranquilles quand Oingo Boingo jouait! (Rires) Mais je suis d'accord que le public européen semble avoir une attitude beaucoup plus appréciative. Ils sont à fond dedans. [GC : Ils reflètent votre énergie.] Oui. Parfois c'est un peu moyen, ça peut arriver à n'importe quel groupe, quand les gens ne sont qu’à moitié convaincus, "hmm"...
Gabi Chesnet
C'est ce qu'on disait à propos des musiciens en mouvement sur scène qui dégagent quelque chose. C'est contagieux. On a envie de bouger aussi, on a envie de sourire. On veut partager une expérience. C'est ça un concert, pas seulement s'asseoir et regarder, parce que ça, on peut le faire chez soi. Être dans la même pièce, c'est différent.
John Avila
Oui. Enfin, je suis passionné de musique. Donc quand je vais voir un concert, j'aime voir un bon spectacle. J'adore sortir. Vous savez, j'ai vu Led Zeppelin, la tournée Houses of the Holy en 1973 quand j'avais 16 ans. Et la vache, je raconte ça aux mômes : "T'as vu Led Zeppelin ?!" "Ouais, je suis vieux." Mais j'étais jeune et j'avais une voiture, alors j'y suis allé ! J'ai vu beaucoup de groupes.
Gabi Chesnet
Vous êtes toujours un adolescent coincé dans votre corps. [JA : (Rires) Merci.] Ce n'est pas ce que les membres de [JackiO] ont dit la semaine dernière, que vous rajeunissiez ?
John Avila
Je touche du bois pour que ça continue. Sauf quand je me blesse au genou sur scène, ce qui m'est arrivé quelques fois, quand ça arrive - c'est guéri maintenant, mais parfois on se cogne un peu ou on tombe sur la batterie... Au dernier concert d'Oingo Boingo que j'ai donné, je me suis retrouvé sur le dos, par terre, et Danny Elfman m'a traîné. [TS : Il vous traînait sur la scène !] Ce n'était pas simulé. C'est vraiment arrivé. J'ai couru, il y avait un câble, et (crie) boum ! Je suis tombé, et j'ai pensé "oh, Danny va venir m'aider". Non ! Il m'attrape la jambe et commence à me traîner sur la scène.
Gabi Chesnet
Vous avez juste continué comme ça !
Tiyanée Stevens
Alors, vous vous êtes blessé ce soir-là ?
John Avila
J'ai eu des échardes dans le dos. Mais non, je n'ai pas été blessé. Tu sais, on est juste dans le feu de l'action. On est tellement gonflé à bloc. C'est genre, “bang”!
Gabi Chesnet
Si je me souviens bien, sur les images, vous restez au sol, vous continuez de jouer !
John Avila
Oui, il faut faire avec. Le show must go on. Je n'ai jamais arrêté de jouer. J'ai juste continué à frapper - c'était pendant une chanson qui était juste bam, bam, bam. Ça m'est arrivé quand j'ai joué avec Neil Young en France, j'ai joué à Paris avec Promise of the Real, avec Lukas Nelson, on accompagnait Neil Young. Pendant ce concert, à la dernière chanson, j'ai volé dans les airs et j'ai atterri sur le dos. Et Neil Young... Neil se déchaînait avec moi, j'étais au sol et je n'ai pas arrêté de jouer. Neil criait “yeah !" - il hurle, "yeah !" Un grand moment rock and roll. Sur mon dos. Comme on dit, “shit happens".
Gabi Chesnet
Pour ce qui est de la représentation, avez-vous de l'anxiété ? Des rituels de performance, de l'anxiété par rapport à ça ?
John Avila
Avant de jouer ? La seule fois où je ressens de l'anxiété, c'est si je n'ai pas fait mes devoirs, ce qui est très, très rare. Tu sais, je joue avec beaucoup de groupes différents, et quand j'ai un concert et que les gens m'engagent - ou que les groupes m'engagent, qu'un artiste m'engage - je fais mes devoirs, j'essaie toujours d'être bien préparé. Tout ce qu’il faut faire, c'est monter sur scène et ne pas être nul. Je dis ça à mes élèves. Quoi que vous fassiez, quand vous obtenez le job, faites tout ce qu'il faut pour que personne d'autre ne le prenne, si c'est le job que vous voulez.
Souvent, ça veut dire apprendre une nouvelle technique, comment jouer ; je me souviens quand Oingo Boingo m’ont engagé. "Oh", me dit Danny, “tu sonnes bien, mais tiens, joue avec un médiator." Il m'a tendu un médiator, et je ne jouais pas avec un médiator. Alors j'ai dû rentrer chez moi et m'entraîner 10 heures par jour pour devenir vraiment bon avec. Mais il était hors de question que je laisse ça être la raison pour laquelle je ne deviendrais pas le bassiste d'Oingo Boingo. Souvent, je dis à mes élèves qu'ils doivent apprendre à chanter, à chanter en chœur, des harmonies, parce que si jamais ils cherchent quelqu'un et qu'il y a deux bassistes, ou deux guitaristes, et que l'un chante et l'autre non mais qu'ils jouent tous les deux de la même façon, qui va avoir le job ? On va vouloir celui qui chante. Donc si tu as un tant soit peu de voix, essaie de la développer. Ce genre de choses.
Mais pour en revenir à ta question, parfois, par le passé, lorsque je n'avais pas le temps de faire mes devoirs - ce qui est très, très rare - si ça arrivait, c'est là que je ressentais de l'anxiété. Genre, "mince, est-ce que je suis prêt ? ". Souvent, l'anxiété est là pendant... Elle finit par ne pas être là, parce que je finis quand même par y aller et faire un bon boulot. Mais quand même, c'est un moment où je peux ressentir de la pression. Je me souviens d'un soir, on était au Tonight Show, à la télé nationale, devant des millions de personnes avec Jay Leno. On se préparait à y aller avec Oingo Boingo, on était sur le point de monter sur scène. Il y avait le rideau, et j'étais le premier devant le rideau. Un gars tenait le rideau et il a dit : "Vous n'allez pas croire ce qui s'est passé." C'était juste avant qu'on commence. Il dit, "un groupe a joué ici hier soir et l’ampli du gars s'est éteint en plein milieu de la chanson, devant 7 millions de personnes." Et le gars me dit ça juste avant que je monte sur scène et je le regarde, genre, "ferme ta gueule, mec !". Ca m'a fait cogiter, ok, "les voilà, Oingo Boingo !", et j'y vais, et je regarde ce gars... et je me dis, "pourquoi il m'a dit ça ?!" Au lieu de penser à la musique, tout d'un coup je pense, "oh merde, est-ce que mon ampli va lâcher ?", mais ça n'est pas arrivé. Donc oui, c'était une fois où j'ai ressenti un peu de stress. Mais c'est très rare. En général, j'ai juste hâte que le concert commence.
Tiyanée Stevens
L'anxiété que vous ressentez disparaît rapidement une fois que vous êtes dans la bulle. C'est très thérapeutique.
John Avila
Oui. Parfois, il peut y avoir des inquiétudes quand je dois apprendre une nouvelle chanson qu’on a jamais jouée. Il peut y avoir un peu de stress pour ça - "Oh la vache, la voilà, la nouvelle chanson. Oh là là, c'est parti." Puis tu te lances. Donc parfois ça peut arriver.
Gabi Chesnet
C'est un sujet qu’on a abordé avec Ira la semaine dernière. C'est un thème qui me tient à cœur - ça rejoint les angoisses, la santé mentale en tant que musicien, ou dans l'industrie de la musique en général. On peut être stressé, on peut être triste.
John Avila
Oui, ou se fâcher avec son pote... Ça peut être ça ou autre chose. On ne se sent pas bien. Je n'ai jamais... Je ne me souviens pas d'une seule fois où je me suis fait porter pâle à cause d'un concert. J'y vais quoi qu'il arrive.
Gabi Chesnet
Pas de complexe, pas de doute sur vos compétences.
John Avila
Non, tu y vas et tu déchires. Il faut juste faire du spectacle. Habituellement, je dirais que 99% du temps, je suis guéri au moment où je descends de la scène, tout ce qui me faisait souffrir est parti. Tout d'un coup, je transpire et je me sens bien après un bon concert. J'oublie juste d'être malade. En fait, c'est probablement la transpiration et tout le reste qui aident à guérir ce qui était là-dedans.
Gabi Chesnet
C'est beau à entendre. C'est exactement ce qu’on disait, que la musique guérit.
John Avila
Une chose que je voulais aborder... C'est quelque chose que j'ai fait parce que je n'ai pas une très bonne mémoire pour me souvenir des événements, des dates et de ce qui s'est passé à ce moment-là, et avec qui je jouais ou quoi, depuis le 1er janvier 1975. Depuis ce jour, jusqu'au concert de JackiO que j'ai fait samedi dernier, j'ai tenu un journal de tous les concerts que j'ai faits dans un cahier, et je l'ai rempli. Je suis sur le point de commencer mon troisième. Les cahiers sont épais comme ça. On peut mettre 36 concerts de chaque côté de chaque page, et je viens de finir de remplir mon deuxième. [TS : Joli…] [GC : C’est dingue.] Je peux donc vous dire exactement la date, le lieu et l'heure de mon premier concert avec Oingo Boingo, la première fois que j'ai joué avec JackiO, chaque concert du Top 40 que j'ai fait. Je tiens un registre des endroits où j'ai joué, des artistes avec lesquels j'ai joué, des villes où j'ai joué ; j'ai une petite marque pour indiquer si j'ai passé la nuit, si j'ai dû dormir sur place, si j'étais en tournée, ce genre de choses.
L'une des raisons pour lesquelles j'ai fait ça, c'est que je n'ai jamais eu de travail régulier. Quand on a un travail où on vous donne un bulletin de salaire, on garde trace de vos heures, des impôts qu'on a prélevés... et on vérifie, "Oh, vous avez gagné tant d'argent jusqu'à présent cette année", on continue à additionner, et puis on obtient "voilà combien vous avez gagné cette année". Et vous faites ça pour vos impôts, non ? Personne n'a jamais fait ça pour moi. Personne ne m'a jamais dit : "Oh, tu as gagné..." Non, aucun groupe ne va vous dire combien d'argent vous avez gagné ou quoi que ce soit. Donc je l'ai fait moi-même. Et je suis très ringard dans ce sens, je suis un peu intello quand il s'agit de ce genre de choses. J'aime bien faire ça. Donc ce registre ne s'est jamais arrêté.
Gabi Chesnet
Je pense que ça compte beaucoup. C'est comme tous ces objets, ces bibelots que vous gardez, des souvenirs et des mémoires. C'est très important. Je lutte beaucoup avec des problèmes de mémoire et je sais que le fait de tenir un journal de "Qu'est-ce que j'ai fait hier ? Qu'est-ce que j'ai fait aujourd'hui ?" sur une ligne, deux lignes - Ça m'aide beaucoup de garder des éléments physiques comme ça.
John Avila
Oui, c'est facile de garder une trace. Et quand je le fais, c'est aussi facile pour moi quand je fais mes impôts. Je connais le montant exact de l'argent que j'ai gagné. C'est très précis, donc ça m'aide dans ce sens. Mon comptable dit toujours, “La vache, tu es doué." Je tiens bien mes comptes. C'est plutôt cool de faire ça.
Tiyanée Stevens
En ce qui concerne le spectacle, je sais que la raison pour laquelle je me suis lancée dans le spectacle était, comme je l'ai dit, thérapeutique pour moi, car je souffre d'un tas de problèmes autour de l'anxiété. Avez-vous l'impression que ce qui vous a poussé à vous produire sur scène, c'est le désir de rendre les autres heureux, ou plutôt celui d'avoir cette paix intérieure pour vous-même ?
John Avila
Wow. C'est une excellente question. Je ne sais pas si on me l'a déjà posée. C'est certainement un mélange des deux. J'adore les visages souriants. On sait que l'on fait du bon travail si les gens... Parfois, je vois des gens qui rient en nous regardant jouer. Ils sont genre, "Oh mon Dieu !"
Gabi Chesnet
On ne pouvait pas s'arrêter ! On en parlait ce matin, on se disait "au Canyon la semaine dernière, tu as remarqué qu'on ne pouvait pas du tout s'arrêter de sourire ?".
Tiyanée Stevens
J'avais mal au visage à la fin de la soirée.
John Avila
(Rires) Oh, merci. C'est génial. Alors c’est qu'on a fait notre boulot ! Donc c'est un mélange de tout ça. J'aime divertir les gens, et j'aime offrir aux gens un bon divertissement. Surtout pendant les années Oingo Boingo, ou quand les gens paient pour venir me voir jouer, je veux qu'ils en aient pour leur argent. Je veux qu'ils partent en se disant : “Dis donc, j'en ai clairement eu pour mon argent quand j'ai payé pour voir votre concert". [TS : On a fait le voyage depuis la France et le Canada.] Ouais ! C'est l'une des raisons pour lesquelles je sors, je fais du vélo et de l'exercice tous les jours.
Je m'entraîne tous les jours, juste pour être en bonne condition physique pour faire un concert, pour ne pas être fatigué à la dixième chanson. C'est une chose ; et le fait de se mettre en forme et d'être en bonne condition physique pour le faire fait partie du processus de guérison pour moi, parce que je m'améliore physiquement. La musique, en fait - et le fait de jouer - me rend physiquement meilleur que si je ne faisais pas ça. Et je dois admettre qu'il y a des moments… Parfois, je vais à un concert. Ca peut être avec JackiO, je conduis jusqu'au concert, et je suis vraiment fatigué. Ça m'arrive souvent d'avoir travaillé plus de 10 heures en session.
Gabi Chesnet
Donc parfois, ça vous arrive bien d'être fatigué.
John Avila
C'est vrai ! (Rires) Oui. Je peux faire une session de 8 ou 10 heures avant de partir jouer avec JackiO, et je suis fatigué. Je me dis : “Pff, j'ai envie d'aller me coucher". Je n'ai pas envie de prendre ma voiture, de charger mon matériel et d'aller jouer jusqu'à une heure du matin. Mais je suis là, je conduis et je me dis, oh là là, je bâille, et "(gémit) Putain, j'aimerais bien ne pas avoir de concert". Puis j'arrive, et une fois qu’on commence à jouer, je suis tellement content d'avoir commencé ! C'est presque comme si après la première chanson- "Oh mon Dieu, c'est ce dont j'avais besoin, c'est- merci !" Et puis je rentre à la maison et je suis incapable de m'endormir tellement je suis gonflé à bloc.
Gabi Chesnet
C'est pour ça que vous avez joué si tard l'autre soir ? [JA : Ouais !] Quand est-ce qu'on est parti, à 2h, 3h du matin ?
John Avila
Je ne suis pas rentré chez moi avant 3h30. Je ne me suis pas endormi avant 4 heures du matin - et je devais être debout à 8h30 du matin pour aller faire du vélo. Je suis allé faire du vélo avec mes enfants. Et la vache, j'étais bien fatigué. Mais je me sentais bien. Une des choses qui est vraiment cool, c'est que je ne bois plus et ne fais plus la fête. Je ne fais plus ça depuis des années. J'aimais ça quand je le faisais - ce n'était pas quelque chose de terrible quand je buvais, mais c'était comme devenir végétarien. J'ai décidé de supprimer la viande et l'alcool, j'ai commencé à mieux manger. Pour moi, ne pas boire d'alcool faisait partie de ce processus. Ça m'a aidé. Ça m'aide à me réveiller le matin et à me sentir bien.
Gabi Chesnet
Je trouve que c'est important. Je pense que c'est un problème que beaucoup de musiciens peuvent avoir. Il y a des jeunes musiciens que je vois maintenant, quand je travaille avec des groupes et autres, et ils ne peuvent tout simplement pas jouer - ils sont dans la green room avec des bières, le frigo est plein de bières, et c’est nécessairement un réflexe. Ça ne peut pas être sain. [JA : Non.] Je vois ça et je me dis, comment je peux aider, pour ne pas finir par avoir ces problèmes d'abus moi aussi ?
John Avila
Enfin, j'ai bu jusque dans ma cinquantaine, et comme je l'ai dit, ce n'était pas comme si j'étais un ivrogne en permanence, que je buvais tous les jours ou quoi. J'appréciais la bière comme j'apprécie le café. Comme j'aime le bon café, j'aime un bon cappuccino, et j'appréciais la bière - pour moi, la bière me donnait cette même impression de "ooh, c'est une bonne bière". J'appréciais vraiment le goût de la bière. [GC : Décontracté.] C'était très occasionnel. J'aimais boire entre amis, sortir, peut-être après des concerts. J'aimais ça. C'était juste une activité sympa, et j'étais jeune, mais je l'ai fait pendant un bon bout de temps. Et j'ai atteint un certain point où, comme je l'ai dit, je voulais être en meilleure santé. J'ai commencé à prendre du poids à un moment donné et j'ai voulu faire quelque chose pour perdre du poids, j'avais probablement une dizaine de kilos - peut-être même plus - de plus que maintenant. Je vois des photos de moi quand j'étais plus gros, et je me dis "Oh là là". Je dirais que ma quarantaine a probablement été ma période la moins saine. J'étais plus gros, je n'étais tout simplement pas en bonne forme. [GC : C'était dans les années 90 ?] Ça devait être vers la fin des années 90, de la fin des années 90 vers les années 2000. Ce n'était pas la période la plus saine de ma vie, physiquement et à bien des égards.
Un jour - en fait, c'est une des choses qui a déclenché tout ça - un de mes anciens élèves... il s'appelle Anthony. Anthony LoGerfo, c'est le batteur de Lukas Nelson et Promise of the Real, et aussi le batteur de Neil Young. La mère d'Anthony - Kathy LoGerfo - m'a envoyé un livre intitulé Eat to Live, et c'était tellement fortuit. Elle m'a envoyé ce livre. Et je me suis dit : "Quoi... ?" J'appelle Anthony : "Pourquoi ta mère m'a envoyé ce livre ?" "Oh, elle trouvait que tu devais le lire."
Gabi Chesnet
C'est un peu passif-agressif, non ?
John Avila
C'était genre, "wow, d'accord", et j'ai lu le livre et ça a changé ma vie. Tout à coup, je me demandais...
Tiyanée Stevens
Je suppose que vous étiez d'accord à la fin du livre.
John Avila
Oh, oui. Mon cholestérol était à plus de 300 à l'époque, ce qui est très, très dangereux. On risque une crise cardiaque. J'ai fini par suivre ce livre. J'ai commencé à manger vraiment, vraiment bien. Ce n'était pas nécessairement végan, mais c'était une façon très, très saine de manger et de changer son mode de vie, y compris de ne pas boire, et le livre disait qu'il n'était pas nécessaire d'arrêter de boire, mais que si vous le faisiez, le processus serait encore plus rapide - et c'est à ce moment-là que j'ai arrêté de boire. En l'espace de 3 ou 4 mois, mon cholestérol, sans aucun médicament, uniquement par le régime alimentaire, est passé de plus de 300 à 170. En 3 ou 4 mois, sans aucun médicament. Ça a donc fonctionné pour moi et j'ai continué sur cette lancée. J'ai commencé à perdre du poids. C'est une chose formidable qui m'est arrivée. [GC : Je veux bien le titre. (Rires)] Oui, Eat to Live par le Dr Fuhrman. C'est presque un spot publicitaire, là. Ce sont quelques-unes des choses non musicales qui ont changé ma vie. Je pense que ça m'a changé.
Gabi Chesnet
Y a-t-il autre chose de non musical qui a changé votre vie ?
John Avila
Ma famille est un élément qui est juste... Je suis marié depuis près de 39 ans à la même femme. J'ai deux filles adultes qui sont toutes deux extrêmement talentueuses. L'une d'elles est professeur d'université, d'anglais. L'autre est une chanteuse douée avec laquelle je travaille, et j'ai deux petits-enfants extraordinaires. L'un d'eux est un prodige du tennis, 11 ans. Et mon autre petite-fille, elle a 3 ans et c'est une artiste. Elle est constamment en train de peindre. [GC : Félicitations.] Merci ! [TS : Une famille très artistique.] Oui. Ils font partie de tout ça. C'était un peu difficile d'être papa et musicien en tournée, parce que je devais leur dire au revoir. Depuis leur naissance jusqu'à leur adolescence, je n'ai fait que des tournées, donc j'étais souvent absent. C'était un peu dur.
Heureusement, j'ai épousé une femme qui était bienveillante à mon égard. Elle ne voulait pas me changer quand on a commencé à sortir ensemble, à se marier et tout ça. C'est ce que je faisais, je n'avais pas d'autre travail. En fait, je ne savais rien faire d'autre. C'est tout ce que je faisais, c'est tout ce que je savais faire. Donc elle était d'accord. J'étais capable de subvenir aux besoins d'une famille en étant musicien, et elle était tranquille. C'est ce qu’il faut. [GC : Ça peut être difficile à gérer.] Ça a marché. Nous sommes toujours mariés et elle soutient toujours ce que je fais, donc c'est quelque chose qui a été vraiment important - et avoir une famille de musiciens en général. Je joue avec les Avilas, la famille Avila. C'est mon frère Sam, Sammy Avila, mon grand frère, et ses deux fils, Andy et Danny Avila. Andy est le batteur du groupe Andy Fresco & the U.N. Vous pouvez les voir, ils tournent dans le monde entier. Puis son frère, Danny Avila, incroyable guitariste, producteur, propriétaire de studio. Et puis ma fille Liela, c'est une incroyable autrice-compositrice-interprète. Donc j'ai l'occasion de me produire avec ma famille. Pas souvent, mais quand on le fait, c'est toujours un grand événement.
Gabi Chesnet
Ça a l'air super mignon. C'est vraiment une famille soudée que vous avez. C'est génial.
John Avila
Oui, j'ai beaucoup de chance à cet égard. Tout vient de mes parents. Mes parents ont tout commencé, ils nous ont influencés et exposés à la musique. Pour ma part, j'aime jouer de la musique swing, et ça vient de mon père. Mon père écoutait des albums de big band. Il aimait beaucoup le big band, tous ces types célèbres de cette époque. J'ai grandi en écoutant ça. Donc quand j'entends de la musique swing, ou du swing à la basse, c'est déjà en moi. Beaucoup d'influences sont venues de là, notamment la musique espagnole, mexicaine, les ballades mexicaines, la musique country. Mes parents m'ont initié à la country et à la musique mariachi. Mon père adorait la musique mariachi, et j'ai produit des albums de mariachis assez célèbres. Mariachi El Bronx en est le fruit, et j'ai pu transmettre cette influence à divers projets.
Gabi Chesnet
C'est très éclectique. C'est super.
Tiyanée Stevens
C'est une véritable famille Von Trapp.
John Avila
(Rires) C'est drôle, ils adorent ce film. Ils ont grandi avec ça. Comment s'appelle ce film ? La Mélodie du bonheur. Je suis allé là où ils l'ont filmé, là où tout se passe, en Autriche. Et mon Dieu, c'est magnifique. Je me souviens que j'étais en tournée et ma fille aussi, en Europe. Elle jouait dans des festivals de jazz là-bas, et je me souviens que j'étais là avec elle, et on chantait ces chansons là-bas. Qu’est-ce qu’on s’amusait.
Gabi Chesnet
Puisque vous avez littéralement parcouru toute l'industrie musicale en jouant de nombreux rôles, comment voyez-vous son évolution ? Comment pensez-vous qu'elle a changé ?
John Avila
Oh mon Dieu. Je n'arrive pas à croire... c'est une chance pour moi. N'oubliez pas que lorsque j'ai commencé à jouer de la basse, en 1973, Led Zeppelin était encore assez récent. Les Beatles venaient de se séparer trois ans plus tôt, alors j'étais là. Je veux dire, 3 ans à partir de maintenant, ce n'est pas si loin. C'est donc là que j'ai commencé, et j'aimais les Beatles parce qu'ils faisaient partie de mon enfance. Mais à partir de cette époque et jusqu'au milieu des années 70, le disco est arrivé. Je jouais dans les clubs du top 40 quand le disco a éclaté, et j'ai commencé à jouer du disco quand c'était tout nouveau. Et j'adorais ça, parce que la basse était tellement fun à jouer ! C'était très fluide, des lignes de basse très chargées. J'adore jouer du disco. J'ai pu porter les costumes - on avait des costumes deux-pièces. Ne cherchez jamais de photos de cette époque. Mais j'étais là quand le disco a commencé !
J'étais aussi là quand le punk rock a débarqué, quand j'ai fait ma première tournée européenne. Voilà une bonne histoire. Je jouais dans cette boîte, Josephina’s, dont j'ai parlé. C'était le club de jam session numéro un à Los Angeles. Je jouais avec beaucoup de grands musiciens. Mais certains des musiciens avec lesquels je jouais, le "house band", étaient des membres du groupe Rufus et Chaka Khan. Donc certains de ces musiciens et beaucoup de ces musiciens de ce style traînaient ensemble, et je jouais beaucoup de funk. C'était vers 1979. Et un soir, cet Allemand est venu me voir et m'a dit : "J'ai un concert en Europe et je vais te payer." J'ai oublié combien, mais c'était bien plus que ce que je gagnais à l'époque. Il m'a dit : "Je te paierai tant juste pour dire oui, et je te paierai tant pour venir jouer avec mon groupe en Allemagne." Et je me suis dit, "Qu'est-ce que je me fais, 80 dollars ce soir ?", tu sais, c'était un chouette concert, mais bon, je n'étais jamais allé en Europe et j'allais jouer avec un groupe. En fait, c'était un groupe vraiment cool. Ils étaient très connus en Allemagne, ils étaient sur un gros label. J'ai dit oui. Il a dit - le seul problème - c'était un lundi. Il a dit : "Tu dois être dans l'avion jeudi au plus tard." Et ouah, OK. Gardez à l'esprit qu'à cette époque, j'étais encore célibataire, je n'avais même pas de petite amie. J'avais peut-être commencé à sortir avec ma femme, mais j'étais toujours célibataire, donc rien ne me retenait. Donc OK, j'ai accepté le contrat.
Je me souviens qu'une de ces nuits, un autre artiste, Al Jarreau, m'a proposé de jouer dans son groupe. Mais j'avais déjà pris ce contrat, et j'ai dû refuser Al Jarreau à ce moment-là, ce qui a été un déchirement, car j'adorais sa musique et j'avais joué avec lui des années auparavant. J'ai donc dû renoncer à ce job, mais j'ai fini par aller en Europe. Mais l'histoire, c'est que sur le chemin de l'aéroport pour aller en Europe pour la toute première fois... j'avais les cheveux longs, peut-être comme les tiens, jusqu'aux épaules. Je me disais : "Je suis en route pour l'aéroport. Je vais sur un continent où je ne suis jamais allé, encore moins un pays. Je vais jouer dans un groupe que je n'ai jamais rencontré, à l'exception d'un seul gars, et quand je descendrai de l'avion, je pourrai être ce que je veux ou ressembler à qui je veux, puisque personne ne m'a jamais vu." J'ai joué avec ça un petit peu.
Sur le chemin de l'aéroport, je me suis arrêté chez un coiffeur punk à Venice Beach, sur la promenade, et je me suis fait faire une crête. Quand je suis descendu de l'avion en Allemagne pour la première fois, je suis passé du look de bassiste funk à celui de crête punk-rock. Et c'est à ce moment-là que le punk a fait son apparition, juste quand je suis descendu de l'avion pour l'Europe. Je me souviens que la bande-son de cette époque pour moi c'est la chanson de Madness, One Step Beyond ! Scars était un succès, c'était le punk, et je me rappelle que c'était une période incroyable pour moi.
Gabi Chesnet
Avez-vous encore des photos de cette coupe de cheveux ?
John Avila
Il y en a quelques-unes, mais elles sont rares. J'ai fini par vivre en Allemagne pendant un an - ça devait être en 1979, 80. J'y ai vécu une année entière. Je vivais dans la ville de Köln, ils l'appellent Cologne ici, mais là-bas, c'est Köln. Ils ont la cathédrale à double dôme, juste au bord du Rhin.
Gabi Chesnet
J'y suis allée il y a quelques années - pour voir des concerts, bien sûr. Les Allemands sont adorables. Ils font très bien la queue. Ce sont de bons publics.
John Avila
Oui, j’ai vu ça. Quand j'étais là-bas, j'ai vu Queen à Cologne, en 1979. J'ai vu les Scorpions, bien sûr - j'étais en Allemagne, il faut voir les Scorpions. C'était une époque incroyable. C'était un mélange de punk rock, et c'était juste au moment où Bowie et le style pailleté... [GC : Glam rock !] Le glam rock était tout neuf, le punk rock était tout neuf, et c'était frais. Le fait d'être là quand ça commençait et quand ça se passait était très exaltant. Être jeune aussi, juste être jeune et ouvert à tout ça.
Gabi Chesnet
Donc vous étiez littéralement là pour ces changements.
John Avila
Pour revenir à ta question sur la façon dont les choses ont changé, j'ai participé à ces changements. Dans les années 80, j'ai créé mon premier groupe de punk, Food for Feet, qui a débuté en 1980. [TS : Vous avez joué certaines de ces chansons la semaine dernière aussi.] On a fait certaines de ces chansons. Quand on a débuté, on était punk, et c'était à Los Angeles, au moment où le punk débarquait. C'est là où on est passés ce week-end, sur la piste cyclable CicLAvia, devant Madame Wong's à Chinatown. C'était l'endroit où les groupes de punk jouaient, c’était “the place to be". Les Clash, les Ramones, Oingo Boingo, The Police et tous ces groupes y jouaient. Notre premier concert était chez Madame Wong à Chinatown avec Food for Feet.
Gabi Chesnet
Il n'y a pas beaucoup d'informations sur Food for Feet, du moins en ligne.
John Avila
Non, il n'y en a pas. C'était au début des années 80, et ça a duré jusqu'aux années 90, 91. Johnny Vatos, le batteur d'Oingo Boingo, était avec nous.
Gabi Chesnet
Il y a beaucoup de gens qui cherchent n'importe quel type de contenu sur le groupe. Ils ne trouvent vraiment rien.
John Avila
C'est difficile à trouver. Il n'y a pas grand-chose. J'ai vu certaines personnes poster des vidéos de concerts, des vidéos amateur. Il y a des trucs qui existent, comme ce truc à Los Angeles qui s'appelle le KROQ's Almost Acoustic Christmas. C'est un super gros événement, et Food for Feet a été le premier groupe à jouer la première année, au tout début. On a joué au South by Southwest la première année où ça s'est produit, en 1987. La toute première année du South by Southwest, on a joué. Donc il y a beaucoup de trucs cool. On était là quand les choses commençaient à peine.
Gabi Chesnet
Et vous vous souvenez encore de ces chansons, vous les jouez encore.
John Avila
Ouais ! Je les joue encore, oui.
Gabi Chesnet
C'était une grande surprise pour nous d'entendre ça. Je ne m'y attendais pas du tout.
John Avila
Oui, je suppose que ça a commencé avec... JackiO aimaient ces chansons, et je savais les chanter parce que je les ai chantées tellement de milliers de fois qu'elles sont dans ma tête, je n'ai même pas besoin de penser aux paroles. Et j'ai dit : " Voilà une chanson, elle s'appelle Retire", et ils ont fait “ouais, on veut faire ça", et depuis, on les joue. On les fait presque à chaque fois qu'on joue. Le public semble vraiment apprécier ces chansons. Elles ont toujours été bien accueillies lorsqu'on les a jouées en concert.
Gabi Chesnet
Est-ce que c'est ce que vous faites, vous vous installez en studio et vous vous dites : "Eh, j'ai une chanson" ?
John Avila
Oui, très souvent, on apporte juste une chanson, comme on a fait Pump It Up, d'Elvis Costello. C'était la première fois que je faisais ça. C'était tout nouveau pour nous.
Gabi Chesnet
C'est comme ça que le groupe s'est formé. D'après ce qu'a dit Ira, vous vous connaissiez tous un peu.
John Avila
Oui, par le passé. Je connais le batteur, David, depuis les années 70. Il jouait dans un groupe avec mon frère Sammy, ils avaient un groupe ensemble, donc je l'ai rencontré par l'intermédiaire de mon frère. A partir de là, on s'est toujours connu. Il vivait dans le coin, David, à l'époque. Steve, je l'ai rencontré quand j'ai rejoint Oingo Boingo, mais c'était en 1984. Donc je connais Steve depuis 1984. Puis Ira, en fait, je le connaissais, et j'étais au courant de son existence. Mais je n'ai jamais joué avec lui avant JackiO.
Gabi Chesnet
On se demandait juste d'où venait le nom du groupe.
John Avila
Je pense que David a été le premier à y penser.
Gabi Chesnet
On le voit bientôt, alors je pense qu'on va lui demander.
John Avila
Oh, génial. David a une histoire incroyable. Il a joué avec tellement de gens.
Gabi Chesnet
Mais vous aussi ! Quels sont vos collaborations les plus folles ?
John Avila
Je pense que c'est en grande partie dû au fait d'être au bon endroit au bon moment. Je me souviens avoir joué un concert du top 40 ici à West Covina, à l'est de là où on se trouve actuellement, le long de l'autoroute 10, et je jouais au Red Onion. Un soir, un type est venu me voir, avec un accent français ou européen. "Mon nom est Patrick Moraz." Patrick Moraz était le claviériste des Moody Blues. Il a aussi joué avec Yes - un musicien fantastique en Europe, il est incroyable. Il me fait, "Je suis à Los Angeles pour faire un album. Je veux que tu joues de la basse sur mon disque, et je veux aussi que tu chantes dessus. J'adore ta voix." Je n'avais jamais joué sur un disque, et ça c'est avant Oingo Boingo, c'est avant Food for Feet. Il m'a donné sa carte de visite. Un mois plus tard, il m'a appelé, j'y suis allé et on l'a fait au Record Plant. C'est comme ça que j'ai fait mon premier disque. J'ai pu jouer avec le batteur de Yes, le batteur original de Yes. Il y a beaucoup de grands musiciens, mais c'était mon premier album.
Encore une fois, je vous le dis, vous ne savez jamais qui va se trouver dans le public lors d'un quelconque concert. Donc il faut toujours être au top, où que l'on joue. Et ça arrive. Un autre soir, je jouais - et je déteste citer des noms, je donne juste des exemples de ce qui s'est passé - je jouais ici à Pasadena au Old Town pub, qui est un petit bar minuscule qui accueille tout au plus 100 personnes, et on serait comme des sardines à 100 là-dedans. Un soir, je jouais là - c'était dans les années 90 - et Steve Vai est arrivé, le célèbre guitariste qui a joué à l'origine avec Frank Zappa. Il est venu et nous a écouté jouer ! On était là en train de jouer, je ne savais même pas qui c'était. Une semaine plus tard, je reçois un appel et c'est Steve Vai. Il m'a dit : "Hé mec, je suis en train d'enregistrer, j'aimerais que tu joues sur mon disque". On ne sait jamais qui va se trouver dans le public.
Tiyanée Stevens
Ça ramène tout à la transmission de ce qui vous est arrivé. Je veux dire, vous avez probablement fait ça pour ces musiciens au Starbucks, non ?
John Avila
D'une certaine manière, oui. Je ne peux pas me souvenir d'une chose en particulier pour l'instant, mais j'ai présenté ou rencontré des gens lorsqu'ils étaient jeunes, ils sont devenus grands, et j'aime ça. L'un de mes talents est d'être un bon juge du talent. Quand j'entends quelque chose, ou que quelqu'un a quelque chose de spécial, je ne sais pas ce que c'est, mais je suis vraiment doué pour dire "wow". Je peux vraiment le sentir, et je veux rencontrer ces gens, je veux les aider ou je veux jammer avec eux ou peu importe. C'est quelque chose que j'ai toujours su faire depuis les premières années.
Un autre exemple, lorsque Food for Feet jouait à San Diego, à nos débuts. C'était encore une fois avant Oingo Boingo. Il y avait un gamin qui jouait dans un groupe appelé Bad Radio. Il s'appelait Eddie, et le petit Eddie venait à nos concerts ; son groupe faisait la première partie de Food for Feet. Mais après ça, il est toujours venu à nos concerts, on le connaissait comme le chanteur. C'était un collègue musicien, alors on lui disait toujours "Hé, Eddie ! Merci, petit Eddie !" On l'appelait le petit Eddie parce qu'il faisait ma taille, lui et moi on se regardait dans les yeux. Eh bien, le petit Eddie a fini par devenir Eddie Vedder de Pearl Jam. On ne sait jamais qui va débarquer. C'est fou.
Gabi Chesnet
C'est dingue. C'est beaucoup de sérendipité, et d'être au bon endroit au bon moment.
John Avila
Absolument. Et c'est en partie de la chance. Vous savez, souvent, beaucoup de musiciens se disent : "Oh, on ne m'entendra jamais". Mais d'abord, il faut être prêt quand la chance arrive, ou quand l'opportunité se présente. Tu dois être prêt. Donc tout ce que ça demande ; mais tu dois aussi créer ta propre chance. C'est pourquoi je dis que tu dois sortir et traîner. Tu dois sortir, tu dois rencontrer des gens. Tu ne peux pas rester assis dans ta chambre tout le temps. Souvent, c'est plus facile maintenant parce que les gens postent des vidéos d'eux sur YouTube ou sur Instagram, donc c'est plus facile de faire ça. Mais je pense toujours qu’il faut sortir. Tu dois sortir et jouer. Il faut rencontrer des gens.
Gabi Chesnet
C'est à peu près ce que vous disiez, qu'il n'y a pas vraiment de mauvaise opportunité.
John Avila
Ouais. Et quand l'opportunité frappe, il faut être prêt. Peu importe ce que c'est. Je pense que la chance est impliquée. Tu sais, comme moi allant prendre un café. Je voulais aller boire un café, maintenant je suis prof. [GC : Et vous n'avez jamais vu un autre groupe jouer chez Starbucks après ça.] Ouais. Comment on en arrive là !
Gabi Chesnet
John, merci. C'était génial de vous avoir au Musicians' Teatime.
John Avila
Je vous en prie. Merci de m'avoir reçu. J'espère vous avoir donné tous les éléments dont vous avez besoin pour raconter l'histoire que vous racontez.
Gabi Chesnet
Merci. Mais c'est vous qui racontez l'histoire.
John Avila
Je suis heureux de partager les histoires et les moments... J'appelle ça mon périple. Chaque fois que je me retrouve quelque part, que ce soit sur mon dos avec quelqu'un qui me crie dessus, que quelqu'un me traîne sur la scène, ou que je sois dans un avion en route pour l'Asie du Sud-Est ou autre, j'appelle toujours ça mon périple. Et mon périple m'a conduit à vous deux. Alors merci d'être là.
Gabi Chesnet
Merci beaucoup.
Tiyanée Stevens
Très, très honorées de faire partie du voyage de John Avila.
John Avila
C'est un plaisir.
Gabi Chesnet
Et nous verrons ce qui vous attend à l'avenir.
John Avila
Oui, je vous en prie !
Cyd Levine
Musicians' Teatime est une production d’Acid Airplane Records, animée par Gabi Chesnet et Cyd Levine. Tous les épisodes sont accompagnés d'une transcription complète et d'une traduction en français sur le site web d'Acid Airplane Records. Merci de vous être joint(e) à nous aujourd'hui !